Afficher Sud-Ouest et Pyrénées de Titou sur une carte plus grande
Après l’excellent billet de mon complice Goomi pour les Béouèts à Vic je vais parler moi aussi de la mort annoncée de la féria de Pentecôte à Vic, qui fait l’actualité dans le Gers, et même au niveau national, grâce à Pernaut. Je parle de Jean-Pierre (le mec à la télé qui présente à 13h00 un genre de chronique rurale), pas de la boisson alcoolisée et anisée.
D'abord, on pourrait tout simplement dire que la municipalité n'a pas anticipé l'afflux massif de festayres en cette édition 2011. Par manque d'information et de renseignements fiables ? Par négligence ? Je n'ose pas penser que ce soit volontaire pour saborder la feria. Ça me parait peu probable. Il se dit que le maire n'est pas un grand festayre. En tous les cas rien n'a été fait pour gérer une telle affluence record. Pas la peine de taper sur les réseaux sociaux et sur les Béouèts à Vic qui via Facebook attirent trop de jeunes. Trop facile, Monsieur le Maire. Mais cela dit, si cette feria devient extrêmement populaire, jamais cela ne pourra être géré au-dessus d'un certain seuil. C'est un village de 3500 habitants.
Ensuite, je vais un peu parler de mes raisons personnelles de regretter cela plus que de raison, en le liant au phénomène d'exode rural massif vers Paris.
Je fais partie de ceux qui ont du se barrer à Pantruche (la région parisienne…) pour pouvoir crouter (mauvais choix de formation ?), loin de leurs familles, leurs potes et leurs racines. Ces racines fondent de manière inaltérable une bonne partie de ma propre identité. A 42 ans, je n'ai jamais perdu mon accent gascon et je ne le perdrais jamais, sans même le vouloir. Cet accent est lui même la seule survivance de la langue gasconne que mes grands pères parlaient couramment. Ce patois était interdit à l'école républicaine jacobine (doctrine de l’état français hypercentralisé) dont une des missions était d'homogénéiser les campagnes profondes et de détruire les identités locales, à grands coup de règle en fer sur le bout des doigts pour les plus récalcitrants qui avaient le malheur de parler cette langue de sauvages. Cela a été vécu et raconté par mon grand-père Jean Lannes de Mauvezin.
Pour la peine, nous avons traduit le présent site web des Béouèts à Vic en langue gasconne.
Ne vous inquiétez pas. Je ne vais pas tomber dans des délires régionalistes archaïques, ce n'est pas mon genre. Et de plus, en parlant du Gers, ce serait une belle connerie. Ces vallées vivent des brassages de population depuis toujours, et c'est sûrement ce qui fait leurs richesses (aujourd'hui on ne brasse plus, on se replie sur soi ou on se communautarise. Elle est belle notre modernité…). Je pense souvent à cette belle phrase du philosophe gascon et académicien Michel Serres :
"Tout apprentissage consiste en un métissage”
(Le tiers-instruit).
La plus vieille eau de vie de France, l'Armagnac, au cœur de notre terroir gascon, en est la parfaite illustration : nos ancêtres gascons cultivent la vigne des romains, distillée avec l'alambic des arabes, et vieillie dans les futs des celtes.
Je rajouterai que la richesse c'est le mélange et le partage entre identités, cultures. En aucun cas il s'agit d'une homégénisation à l'échelle planétaire où le monde entier parlerait la même langue, s'habillerait de la même manière, écouterait la même musique et mangerait les mêmes saloperies industrielles. Car c'est cela, la mondialisation : des lobbies qui cherchent un client qui soit le même partout pour des produits rentables fabriquées à la chaine en trés grande quantité. Donc ouste, la diversité culturelle, ouste, le gascon, ouste, la gastronomie, ouste, la féria.
La féria, ce fort débordement culturel au dessus des Pyrénées, venue de la voisine Espagne ("Est-ce l'Espagne en toi qui pousse un peu sa corne” chantait Claude Nougaro). Les arènes de Vic-Fezensac, les plus anciennes en béton de France, sont une illustration de poids. Oublions les taureaux, ce n'est pas le débat. Même s'il faut bien reconnaître que l'existence de la fête et de la feria del toro sont intimement liés. Dans les commentaires sur l’article du Sud-Ouest d'aujourd'hui, on voit bien que tout le monde mélange tout. Ce n'est pas la corrida qui est remise en question, mais la féria. Et pour les anti-corridas, détruire la féria permet de détruire la corrida. Revenons au sens premier de La féria : c'est la fête (et c'est même "L'excès pour l'équilibre", j'ai écrit un gros dossier là-dessus il y a longtemps…). Les puristes vous diront que c'est la faute aux hordes des nouvelles générations formatées aux grosses férias de Dax et de Bayonne qui foutent en l'air Pentecotavic (encore un problème de standardisation identitaire, tiens... (voir paragraphe précédent). Il y a ceux qui vont se lancer dans des analyses sociologiques surannées qui ont un avis sur tout sans avoir foutu les pieds dans une féria (très français, ça…), ceux qui vous diront que les plus ardents défenseurs de Pentecotavic le sont pour des raisons économiques (les commerçants), ou alors que la cause c'est la folie de plus en plus sécuritaire de notre civilisation, ou le clientélisme des élus, et j'en passe… Enfin, pour finir, certains vous diront que c'est la faute aux Vicois eux-mêmes majoritairement retraités.
J'aimerai vous y voir, vous, si vous habitiez dans une petite bourgade de 3500 habitants endormie toute l'année et que vous vous retrouviez envahis pendant un week-end par des dizaines de milliers de béouèts. Certains le gèrent très bien en louant leur maison et en partant en week-end, ou en étant partie prenante de la fête, etc. Pas si endormie que ça toute l'année, Vic-Fezensac : l'été il y aussi le festival Tempo Latino, le plus grand festival de musique latine d'Europe, festival qui n'a pu voir le jour notamment grâce au pognon généré par la féria, il faudrait le rappeler. Alors, c'est la faute aux vieux ? Autrefois je disais à mon dernier grand père vivant (à presque 90 ans) que dans des villages peuplés à 70% de retraité, dans un pays de suffrage universel, les villages gersois étaient devenus des gérontocraties totalitaires. Cela faisait beaucoup rire mon papi Jean. Mais non, ce n'est pas la faute de nos ainés. C'est la faute au jacobinisme (doctrine de l’état français hypercentralisé)
Dans notre pays dont l’hypercentralisme parisien est un héritage de ce jacobinisme, le fossé entre les villes et la campagne déjà marqué par des décennies d'exode rural s'est encore accentué avec l'avènement de notre civilisation de méga(lo)poles et de changements culturels et spirituels radicaux. S'y rajoute le choc des générations, alors que l'allongement de la vie prend des proportions jamais atteintes depuis le début de l'histoire de l'humanité. Tout cela ne nous amène hélas qu'à des clivages et des divisions de plus en plus marquées, des déséquilibres démographiques et culturels.
La suppression de la féria de Pentecôte à Vic marque une rupture d’un des derniers liens qu'il me reste avec ma culture gasconne. Autrefois, j'allais à Pampelune, Bayonne, Dax, les 2 fêtes de mon village de Mauvezin, je faisais le con sur la Place Saint Pierre à Toulouse (j'y ai même été portier pendant mes études…), je jouais au rugby, j'allais supporter mon frère rugbyman, etc. Petit à petit, avec le temps, l'éloignement, le travail, liés à la vie moderne, j'ai déserté tout cela ou certains rendez-vous ont disparu pour diverses raisons (je pense à l'association des Pénibles de Mauvezin). Finalement, il ne me restait plus que Pentecotavic, mon rituel annuel où je retrouve mes potes, ma famille, l'âme de ma région, et cela depuis 25 ans. J'avais déjà frémis, il y a quelques années, à l'époque de la suppression du lundi férié de Pentecôte, qui a inspiré ce génialissime billet de ma tatie Isabelle sous le pseudonyme de Vicomtesse d'Armagnac (allez, tatie, un autre billet comme ça et tu nous sauves encore la féria…).
Mais maintenant je me sens triste, abattu et blessé, car je dois l'écrire, cette suppression supposée de Pentecotavic m'a touché en plein cœur.
Titou, pour les Béouètsavic